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RFI | Démission de Hun Sen: «Une révolution de palais est possible» au Cambodge

 L'opposant cambodgien en exil et leader du Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP), Sam Rainsy, à Paris le 1er septembre 2022. AFP - EMMANUEL DUNAND
L'opposant cambodgien en exil et leader du Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP), Sam Rainsy, à Paris le 1er septembre 2022. AFP - EMMANUEL DUNAND

Texte par : Jelena Tomic

 

RFI : L'annonce de démission du Premier ministre Hun Sen était-elle attendue ?

 

Sam Rainsy : C’était attendu, mais il y a une petite précipitation quand même. Le 22 août prochain, Hun Sen cessera d’être Premier ministre, et il sera remplacé par son fils Hun Manet. On le savait plus ou moins, mais le fait que les choses se précipitent comme ça témoigne de plusieurs choses possibles. Premièrement, la santé d'Hun Sen, qui ne lui permettrait pas de rester au poste de Premier ministre bien plus longtemps. Et deuxièmement, il y a peut-être des dissensions internes au sein du parti au pouvoir.

 

Donc Hun Sen veut forcer la main à ses rivaux, ou à ceux qui s’opposeraient à l’établissement d’une dynastie politique, et je peux vous dire qu’il y en a. Hun Sen paraît très embarrassé, et plutôt peureux. Il a montré sa peur quand il a empêché le seul parti d’opposition crédible à se présenter, donc il a gagné presque tous les sièges à l’Assemblée nationale, il a laissé cinq sièges au parti royaliste pour faire de la décoration, mais ça ne trompe personne.

 

En tout cas, Hun Sen marche sur des œufs en ce moment. On sait qu’il a dû s’absenter, d’une façon imprévue, plusieurs fois de suite, et plusieurs jours, chaque fois. On ne connaît pas vraiment son âge, vous savez, il change de date de naissance, un peu comme cela pourrait l’arranger. On est très superstitieux au Cambodge, on change de date de naissance comme ça, surtout quand vous êtes né à la campagne il y a 70 ans ou 80 ans, il n’y avait pas d’état civil. Donc, on peut dire ce qu’on veut, mais ce qui est sûr, c’est qu’il a une démarche au cours des dernières années qui paraît plus difficile qu’avant. Et c’est sûr qu’il y a une précipitation.

 

RFI : Quels sont les scénarios possibles ? Existe-t-il des dissensions à l’intérieur du parti au pouvoir ?

 

Sam Rainsy : Tout le monde a peur et personne n’ose dire ouvertement ce qu’il pense, mais on peut supposer qu’il y a au moins trois personnes qui sont mécontentes des projets de succession familiale d'Hun Sen.

 

D’abord, il y a monsieur Sar Kheng, l’actuel ministre de l’Intérieur, qui aurait pu et aurait même dû être Premier ministre, au moins pendant un certain temps, au lieu que ce poste soit monopolisé par Hun Sen sans interruption depuis 38 ans. Il y a aussi le ministre de la Défense, Tea Banh, qui doit partir, parce que la succession d’Hun Sen par Hun Manet fait des dégâts collatéraux. Hun Sen, il a pu commander Tea Banh pendant très longtemps, mais Tea Banh n’accepte pas de se retrouver sous les ordres du jeune fils d'Hun Sen. Et le troisième, c’est le président du Sénat actuellement, il s’appelle Say Chhum.

 

Les trois noms que je viens de citer, ces personnes sont assez proches, donc elles peuvent très bien former un clan pour s’opposer au plan d'Hun Sen et de son fils et de l’entourage d'Hun Sen, très proche. Je pense qu’ils ne voient pas d’un très bon œil le projet de succession familiale élaboré par monsieur Hun Sen. Tout est possible. Il n’y aura pas de coup d’État militaire au sens propre du terme, mais il peut y avoir une révolution de palais.

 

RFI : Quel est le rôle de la Chine dans la succession du pouvoir au Cambodge ?

 

Sam Rainsy : La Chine est devenue le plus gros créancier du Cambodge, le plus gros donateur et le plus gros investisseur. Mais la Chine n’a pas fait qu’investir au Cambodge, elle a investi le Cambodge. La Chine contrôle vraiment tous les leviers du pouvoir au Cambodge. Et c’est irréversible. La Chine a construit une base militaire, c’est ça que le Cambodge est devenu, un bastion militaire de la Chine, donc elle ne va pas s’arrêter là.

 

Et Hun Sen a besoin de la Chine pour rester au pouvoir, pour assurer que son fils continue de gouverner le pays après lui. Parce que d’autres personnes influentes n’ont pas les mêmes intérêts qu'Hun Sen, et ces personnes rivales d'Hun Sen voient que c’est un danger qu'Hun Sen mène le Cambodge au-devant d’un grave danger. De s’allier de cette façon avec la Chine, cela menace la stabilité, la sécurité et la paix dans la région. Et beaucoup de pays dans la région partagent les mêmes préoccupations, c’est-à-dire craignent cette menace chinoise. Le fait de voir le Cambodge d'Hun Sen s’aligner, servir la politique expansionniste de la Chine, ça crée beaucoup de mécontentements, ou tout du moins, d’inquiétude. Donc les personnes à l’intérieur du parti au pouvoir au Cambodge, qui envisageraient de remplacer Hun Sen par une autre équipe moins inféodée à la Chine, ce groupe, ce clan, pourrait avoir des appuis régionaux et même internationaux.

 

RFI : Est-ce qu'Hun Sen continuera à jouer un rôle ? Avez-vous l’espoir d’un changement ?

 

Sam Rainsy : Cette transition familiale présente des risques pour Hun Sen, il a pris ces risques, il va les assumer. Ce n’est pas une question de personne, c’est une question de système.

 

Tant que le système mis en place par Hun Sen reste en place, rien ne changera. Ce n’est pas Hun Manet qui remplacera Hun Sen, qui changera le mode de fonctionnement de ce système. Je prends une comparaison : en Syrie, il y a une vingtaine d’années, quand le président autoritaire Hafez el-Assad s’est fait remplacer par son fils, plus jeune bien entendu, mais surtout plus éduqué, certains pensaient que le fils ferait mieux que le père, qu’il serait plus libéral, plus démocratique que le père… Pas du tout. Donc ce n’est pas une question d’âge, ce n’est pas une question d’éducation, c’est une question de système. Et je pense que le système dictatorial mis en place par Hun Sen restera en place également. Donc rien ne changera si Hun Manet remplace son père.

 

Mais dans les circonstances actuelles, tout changement est porteur d’espoir. C’est une redistribution des cartes, une nouvelle donne qui s’annonce, et tout est possible. Les personnes qui attendent ce moment depuis longtemps, je pense qu’elles vont saisir, chacune à leur façon, cette opportunité pour apporter plus d’ouverture au régime actuel. C’est un élément qui pourrait s’ajouter à d’autres. Ce sera un concours de circonstances qui pourra amener à un grand bouleversement. Moi-même, je compte rentrer au Cambodge dès que la situation changera en Thaïlande, parce que Hun Sen a interdit aux compagnies aériennes de me transporter au Cambodge, donc il ne me reste plus que la voie terrestre, il faut que je passe par la Thaïlande.

 

Quand il y aura un changement de gouvernement en Thaïlande, quand les démocrates viendront au pouvoir en Thaïlande, je pense que les démocrates ne vont pas soutenir Hun Sen. Au contraire, je pense qu’il y aura une solidarité de fait entre les démocrates de Thaïlande et des démocrates du Cambodge. Et quand je rentrerai au Cambodge, je pense que ce pourra être un catalyseur pour amener un grand changement. Tant que je reste en vie et tant que le peuple cambodgien continue de souffrir, je me battrai pour que le peuple cambodgien connaisse des jours meilleurs.

 

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