Mgr Enrique Figaredo (photo), un missionnaire jésuite espagnol arrivé au service des blessés cambodgiens à la fin des années 1980, s’est longtemps occupé des anciens Khmers Rouges convertis ou repentis. Le prêtre, préfet apostolique de Battambang depuis 2000, est également surnommé « l’évêque des chaises roulantes » pour son service auprès des Cambodgiens mutilés après la guerre. Il rapporte le témoignage des anciens membres du régime meurtrier de Pol Pot, dont certains sont arrivés jusque dans sa paroisse : «Beaucoup d’entre eux sont heureux d’avoir pu se libérer de leur passé.»
Fin 1998, quelques semaines après la chute des derniers Khmers Rouges, Mgr Enrique Figaredo, également surnommé « Kike » ou « l’évêque des chaises roulantes », rendait visite à d’anciens membres du régime communiste, après avoir appris qu’ils avaient besoin de son aide. Beaucoup d’entre eux avaient été mutilés par des mines durant la longue guerre civile, et après la fuite, la mort ou l’arrestation des cadres du régime, ils se retrouvaient livrés à eux-mêmes. Beaucoup auraient été réticents à l’idée d’entrer dans une région qui avait été contrôlée par l’un des pires mouvements révolutionnaires du XXe siècle, mais Mgr Figaredo y voyait un appel. « Je me souviens d’être allé dans un des coins les plus reculés du Cambodge », raconte-t-il depuis la paroisse catholique de Battambang, également appelée Pet Yiey Chee par les habitants.
« Ils m’ont demandé mon soutien. Je suis allé les voir et je leur ai donné des poules pour qu’ils puissent avoir des œufs et de la viande. Je leur ai également prêté de petites sommes », la plupart de ces dons étant encore utilisés aujourd’hui, selon lui. « Vous pouviez sentir très rapidement qu’ils étaient toujours coincés dans une structure militaire, mais qu’ils étaient encore, malgré tout, très humains. Nous nous retrouvions sur le plan humain. Je suis sûr que certains d’entre eux ont commis des erreurs très regrettables, mais pas tous. » Mgr Enrique Figaredo est né à Gijong, en Espagne, en 1959. Il a rejoint les Jésuites vingt ans plus tard, et il a commencé sa mission dans les bidonvilles et les quartiers pauvres de Madrid. Il est ensuite parti dans les camps de réfugiés de la frontière thaïlandaise de 1984 à 1988, où il a travaillé auprès de personnes qui avaient été mutilées en fuyant les Khmers Rouges ou en combattant contre (ou pour) le régime meurtrier de Pol Pot.
C’est là que le prêtre espagnol s’est vu attribuer son surnom d’ « évêque des chaises roulantes », après ses journées de travail auprès des personnes handicapés, des exclus et des oubliés. Dans les camps, il a créé des centres pour les enfants soldats – un terme rarement utilisé à l’époque –, où il organisait des activités comme des concerts. Après avoir travaillé avec les Cambodgiens mutilés jusqu’à la fin des années 1990, le prêtre a été nommé préfet apostolique de Battambang en 2000.
D’anciens Khmers Rouges convertis
À Battambang, une ville du nord-ouest du pays située sur les rives de la Sangker, Mgr Figaredo évoque l’héritage des missionnaires portugais tout en flânant le long des édifices coloniaux. Sa promenade croise des dizaines d’habitants qui le saluent. Parlant couramment le khmer, il plaisante avec les enfants et prend les nouvelles des mères et de leurs nouveau-nés. La paroisse, chaque dimanche, se remplit d’une assemblée de plusieurs centaines de personnes pour la messe. Les fidèles viennent de tous horizons, mais certains ont un passé plus sombre que d’autres. Mgr Figaredo explique qu’autrefois, beaucoup d’anciens soldats Khmers Rouges venaient dans son église. Certains étaient hantés par les fantômes de leur passé, laissant entrevoir les atrocités auxquelles ils ont assisté ou participé. « C’étaient des catholiques, mais également des anciens Khmers Rouges », ajoute le prêtre. « Certains amenaient leurs enfants dans l’église mais restaient à l’extérieur. Je les invitais à entrer, mais quelque chose les en empêchait. Ils me disaient par exemple, ‘J’ai fait des choses terribles autrefois, je ne peux pas encore entrer’ », se souvient-il. « Cela m’attristait beaucoup. »
Les conversions au christianisme, souvent au protestantisme, étaient courantes parmi les anciens soldats Khmers Rouges. Kaing Kek Iev, plus connu sous le nom de « Douch », ancien chef de la tristement célèbre prison S-21 de Phnom Penh, où sont mortes plus de 15 000 personnes, était devenu un prédicateur laïc vers la fin des années 1990, avant qu’il soit arrêté et condamné à perpétuité. In Chaem, ancien responsable Khmer Rouge, qui avait été accusé de meurtre, d’esclavagisme et d’autres « actes inhumains » avant que l’affaire soit classée sans suite de façon controversée, s’est également converti récemment, ainsi qu’il l’a confié aux médias : « Mon esprit est ouvert et renouvelé grâce aux bénédictions de Dieu. » Mgr Figaredo explique qu’il peut comprendre pourquoi ils se sont tournés vers le christianisme plutôt que vers le bouddhisme, pourtant majoritaire au Cambodge. « Dans le christianisme, il y a la miséricorde et il y a l’espérance », confie le prêtre. « Tout dépend du jugement de Dieu, et ils peuvent essayer de changer leurs vies. De plus, le bouddhisme met l’accent sur le karma, tandis que le christianisme parle du Salut, ce qui a pu les attirer davantage. Beaucoup des anciens Khmers Rouges que je connais sont heureux d’avoir pu se libérer de leur passé. »