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#085 Lundi matin 04/05/2020

Ici on trouve des masques à tous les coins de rue...
Ici on trouve des masques à tous les coins de rue...

Chers amis,

 

C'est encore dans le contexte de la pandémie de Covid 19 dont nous aimerions tous sortir rapidement que je viens vous retrouver ce lundi pour faire le point sur la situation.

 

Ici au Cambodge, d'un point de vue sanitaire, on pourrait presque dire que l'épidémie est terminée... en effet, officiellement le Cambodge n'a plus de nouveau cas de Covid 19 depuis le 12 avril dernier, et le nombre total est "figé" à 122. Sur ces 122 cas, 120 sont sortis guéris de l'hôpital, sans aucun mort et il ne reste plus que 2 patients hospitalisés.

 

Cependant, étant donné qu'il n'y a pas eu au Cambodge de grande campagne de tests, on ne parle ici que des cas qui ont été détectés parce que les personnes se sont présentées à l'hôpital. Nous n'avons en fait aucune idée de la contamination réelle de la population ni du nombre de porteurs asymptomatiques qui pourraient être la source d'une seconde vague. Aussi, jusqu'à présent, les mesures prises par le Gouvernement sont toujours en vigueur et nous ne pouvons toujours pas reprendre les activités collectives dans nos églises et nos écoles.

 

Les conséquences au Cambodge seront sans doute beaucoup plus grave économiquement que médicalement, et comme dans beaucoup de pays pauvres et en voie de développement (en Asie comme en Afrique), il y aura probablement plus de victimes de la faim que de victimes du virus.

 

Depuis le début de l'épidémie, par exemple, ce sont plus de 100 000 ouvrières des usines textiles (un secteur qui représente 40% du PIB du Cambodge) qui ont perdu leur emploi. L'essentiel de la production est exportée vers les pays occidentaux où la demande s'est effondrée. À ce sujet, même si je peux comprendre les appels qui circulent sur les réseaux sociaux à acheter français, n'oublions pas que si les Occidentaux n'achètent plus les produits fabriqués en Asie, ce sont les petits et les fragiles ici qui en paieront le prix : celui de la misère et de la faim. Il vaut mieux être pauvre et sans emploi en France qu'au Cambodge... Une usine a fermé du jour au lendemain la semaine dernière en informant ses 3 000 ouvrières par SMS ("Ne venez pas travailler demain, l'usine ferme."), et sans leur payer leur dernier salaire...

 

Le taux de fréquentation touristique à Angkor a baissé de 99% par rapport à la même période l'an dernier... ce qui a pour effet de transformer la ville de Siem Reap, dont l'essentiel de la vie tourne autour des hôtels et des restaurants qui accueillent les touristes, en zone économiquement sinistrée. Dans la ville de Phnom Penh, des hôtels et des restaurants (dont un Burger King où j'avais mes habitudes) ont mis la clé sous la porte, faute de clientèle étrangère. Généralement, les établissements qui ont une clientèle essentiellement locale semblent mieux s'en sortir, puisque les gens continuent à manger à l'extérieur. Certains établissements, qui ont les reins suffisamment solides, en profitent pour faire des travaux d'entretien ou de ravalement, mais combien de temps pourront-ils tenir ? C'est la même chose pour les centres commerciaux ou les casinos qui emploient beaucoup de personnel (vendeurs, hôtesses, cuisiniers, femmes de chambre, personnel de sécurité et d'entretien,...), et qui voient leur fréquentation fortement diminuée (les casinos sont désormais totalement fermés dans tout le pays). Combien de temps vont-ils pouvoir tenir à payer du personnel à ne rien faire ? Quand je vais dans l'un ou l'autre des centres commerciaux de Phnom Penh, au total il semble bien qu'il y a plus de personnel que de clients... Ici, pas d'assurance chômage, pas de sécurité sociale, pas de "chômage partiel", et beaucoup de familles n'ont pas de réserves financières pour affronter les coups durs.

 

Sur les paroisses dont je m'occupe, les conséquences ne semblent pas trop graves pour le moment, car nous n'avons pas d'usines textiles ou de gens qui travaillent dans le tourisme. Beaucoup sont dans l'agriculture ou le petit commerce, sur une activité très locale, et cela fonctionne encore presque normalement. La "non visibilité" du virus rend encore plus difficile pour certains la fermeture prolongée des écoles et des lieux de culte. Pour le sanctuaire d'Areyksat, la sanction financière est importante puisque depuis la fermeture des frontières et la fermeture des lieux de culte, nous n'avons plus aucun pèlerin à venir nous voir. Ce sont ainsi l'équivalent de plusieurs milliers d'euros de dons, d'honoraires de messes, d'achats de souvenirs que nous perdons chaque mois.

 

Tout en respectant les consignes de distanciation sociale, nous allons cette semaine mener deux opérations pour venir en aide aux familles les plus défavorisées du secteur par des distributions de riz et de nouilles, comme nous le faisons habituellement 2 ou 3 fois par an. Nous y ajouterons cette fois des masques et du savon, pour inciter à faire attention.

 

Regard sur la France...

Un petit mot sur la France, qui va sortir de confinement, si tout va bien, le 11 mai prochain. J'ai été très déçu des prises de paroles de plusieurs évêques suite à l'annonce du premier ministre que les lieux de culte ne pourront pas accueillir les fidèles avant le 2 juin (ceux qui me suivent sur Facebook ont pu s'en rendre compte...). Déjà, j'avais été choqué quand l'archevêque de Paris avait menacé "d'aboyer très fort". Mais nous avons eu droit à une succession de récriminations, de propos amers, trahissant plus un orgueil blessé qu'une véritable préoccupation de pateurs. Certains évêques n'ont pas apprécié que le gouvernement ne les écoute pas plus et n'accède pas à leurs demandes... ce que je peux comprendre, après le travail réalisé pour faire des propositions concrètes et pratiques pour un déconfinement prudent des lieux de culte. Mais fallait-il ainsi se répandre dans les médias et les réseaux sociaux ? Que vient faire une lettre cosignée par 130 prêtres dans un quotidien comme le Figaro, clairement marqué politiquement dans une opposition systématique au gouvernement ? Le choix de ne pas utiliser un moyen "neutre" de communication de cette lettre en dit long sur les motivations de ses initiateurs (et je n'exclue pas que certains confrères signataires ne se soient pas fait avoir dans l'histoire). Au moins, ils auraient peut-être dû y réfléchir à deux fois avant de s'engager ainsi dans une opposition partisane au gouvernement.

 

Faut-il faire tout ce raffut (pour reprendre les mots de Bertrand Révillion) pour 3 semaines de délais supplémentaires ? Je relisais hier ce passage du Catéchisme de l'Église Catholique (n°1832) : "Les fruits de l’Esprit sont des perfections que forme en nous le Saint-Esprit comme des prémices de la gloire éternelle. La tradition de l’Église en énumère douze : charité, joie, paix, patience, longanimité, bonté, bénignité, mansuétude, fidélité, modestie, continence, chasteté." Certaines prises de paroles épiscopales en sont loin. Plutôt que de s'acharner à vouloir obtenir la réouverture des célébrations au public, en donnant une image qui se rapproche plus du syndicaliste que du successeur des Apôtres, ces évêques devraient aider les fidèles à vivre ce temps dans la prière et dans l'offrande, dans l'accueil de cette épreuve avec tout ce que ce dépouillement peut amener comme fruits de conversion. Nos évêques doivent nous montrer l'exemple de la hauteur de vue et de la vision, de l'inventivité face à l'adversité, comme beaucoup l'on déjà fait, nous aider à lever les yeux pour regarder au-delà de notre nombril,  autour de nous. Je ne vois vraiment pas les fruits positifs en terme de témoignage et d'évangélisation que tout ce tapage peut produire. Dans l'évangile selon St Jean, c'est le lavement des pieds qui occupe la place de l'institution de l'eucharistie, nous avons toujours à creuser cela : la communion eucharistique étant pour le moment encore impossible, il nous faut peut-être redécouvrir comment nous pouvons communier par le service du frère (et ne pas l'oublier quand nous pourrons retourner dans les églises).

 

En attendant, chers amis, je vous laisse en vous souhaitant bon courage. À la semaine prochaine.