Aux portes de Siem Reap, dans le nord-ouest du Cambodge, se tiennent les temples de l’immense complexe d’Angkor, dont l’ancien temple d’Angkor Wat, symbole du pays, inscrit au patrimoine de l’Unesco. Le site attire plus de deux millions de touristes par an. En 2017, ses revenus ont augmenté de 108 millions de dollars. Malgré tout, les habitants de Siem Reap et des villages alentour profitent peu de cette manne touristique, et le pays est toujours l’un des plus corrompus en Asie.
Quand la mère de Por Pisey est tombée malade, son père s’est vu obligé de revendre leur bétail. Il n’y a désormais plus que quelques poulets et quelques chiens dans leur jardin. Les vaches et les buffles qui assuraient leurs revenus ne sont plus là. « Nous sommes tellement pauvres que nous n’avions pas d’autre choix que de les vendre pour pouvoir payer les frais de l’hôpital », explique-t-elle. Por Pisey, 22 ans, vit et travaille à Siem Reap, dans le nord-ouest du pays. Le site est connu comme l’entrée vers le vaste complexe d’Angkor et l’ancien temple d’Angkor Wat. Ce dernier, symbole du Cambodge et principale destination touristique du pays, est inscrit au patrimoine de l’Unesco et attire plus de deux millions de touristes par an. Pourtant, malgré les revenus du tourisme, la plupart des habitants de Siem Reap et des villages alentour vivent dans la pauvreté. Seul un petit groupe de privilégiés bénéficie des temples et de l’industrie touristique qui les entoure. Assise devant la petite maison de bois familiale, Pisey explique que depuis quatre ans, elle travaille pour un hôtel où elle nettoie les chambres et assure le service du petit-déjeuner. Elle travaille huit heures par jour pour seulement 120 dollars par mois. « J’aimerais être payée au moins 150 dollars », espère-t-elle. « Cela faciliterait les choses pour ma famille. Pour l’instant, nous sommes tous dans le besoin et ma mère est toujours à l’hôpital. »
La pauvreté au Cambodge n’est pas une nouveauté. Dans les années 1990, après les décennies de guerre civile, d’isolement et d’horreur sous le régime Khmer Rouge, le pays était considéré l’un des plus pauvres au monde. Depuis, le nombre de Cambodgiens vivant officiellement sous le seuil de pauvreté a sensiblement diminué. En 2007, 47,8 % de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté fixé à 1,90 dollar par jour. En 2014, Ce chiffre avait baissé de 13,5 %, en grande partie grâce à la croissance économique du pays. Mais la misère est toujours une réalité pour nombre de Cambodgiens. Une étude récente, réalisée par l’Unicef, rapporte que près de 40 % de la population vit tout juste au-dessus du seuil de pauvreté, surtout dans les régions rurales. Une mauvaise récolte ou la perte d’un emploi peut aisément endetter ou appauvrir une famille. Lav Sreylov le vit au quotidien. Son mari est mort alors qu’il travaillait en Thaïlande, la laissant veuve avec trois enfants à nourrir. Cette serveuse d’une trentaine d’années gagne environ 150 dollars par mois, comprenant les pourboires et les primes. « C’est très difficile de vivre avec un si petit salaire », confie-t-elle près de chez elle à Siem Reap. Elle songe à chercher un nouvel emploi, mais elle ne pense pas pouvoir obtenir un poste mieux payé.
Bourse pour étudiants en difficulté
Dans le centre de Siem Reap, la paroisse Saint-Jean essaie de venir en aide aux Cambodgiens en difficulté. Son curé, le père philippin Totet Banaynal, aidé par Thoem Thon, catéchiste, a lancé plusieurs programmes contre la pauvreté, dont des centres de formation et la distribution de soupe de riz à des centaines d’enfants. La paroisse loge également des étudiants en difficulté. « Nous accompagnons actuellement une vingtaine d’étudiants », explique Thoem Thon. « Cela fonctionne comme une bourse. Les étudiants paient 20 dollars par mois, et en retour, nous leur fournissons un vélo, les repas et un lieu pour dormir. Nous les aidons même à se procurer un uniforme pour l’université. Et pour ceux qui sont incapables de payer 20 dollars, nous leur demandons seulement 10 dollars. Nous voulons vraiment les aider. » Thoem Thon pense que la pauvreté pourrait diminuer dans le pays si les richesses étaient mieux partagées. « Le tourisme à Angkor Wat génère beaucoup d’argent, mais nous ignorons où il va. Si vous faites le tour des temples, vous verrez beaucoup d’enfants pauvres qui ne sont pas scolarisés. » En 2017, le prix d’entrée pour les temples d’Angkor est passé de 20 à 37 dollars pour un billet d’une journée, de 40 à 62 dollars pour un billet de trois jours, et de 60 à 72 dollars pour une semaine. La même année, les revenus de site ont augmenté de 108 millions de dollars. Pour chaque billet vendu, deux dollars vont à l’hôpital pour enfants de Kantha Bopha. Une autre partie sert à l’entretien des temples. Le reste revient à l’État. « S’ils utilisaient ne serait-ce que 20 millions de dollars sur les ventes d’Angkor pour aider les pauvres, cela ferait une grande différence », affirme Thoem Thon.
Corruption généralisée
Selon les experts, si le Cambodge continue de vivre dans la pauvreté, c’est en grande partie lié à la corruption généralisée. Selon l’Indice de perception de la corruption de l’ONG Transparency International, le Cambodge est l’un des vingt pays les plus corrompus au monde et le plus corrompu en Asie du Sud-Est, avec un niveau de corruption à peine meilleur que des pays comme l’Irak, le Venezuela ou la Corée du Nord. Thoem Thon n’hésite pas à dénoncer ouvertement des pratiques largement répandues telles que les pots-de-vin. « Tout le système est corrompu », affirme-t-il. « Si nous voulons construire quelque chose pour aider les pauvres, nous avons besoin de l’accord des autorités. Mais pour cela, il faut les soudoyer. Et si nous ne payons pas, ce sera plus difficile encore d’améliorer la situation. » Le catéchiste soupire profondément tout en poursuivant. « Nous sommes forcés de porter cette croix. Ce n’est pas facile, mais Jésus a aussi souffert pour le monde. »
Autour de Siem Reap s’étend un paysage de rizières, de bananeraies et de routes poussiéreuses, où se tient Por Pisey à la mine réjouie, parce qu’elle a peut-être trouvé une issue hors de la pauvreté. Malgré son faible salaire, elle a pu économiser suffisamment d’argent pour pouvoir reprendre les études. En janvier, elle sera la première de sa famille à se rendre à l’université, où elle s’apprête à étudier la comptabilité. « Je veux étudier pour pouvoir travailler dans une banque ou dans une grande entreprise. Ce sera plus facile alors de faire vivre ma famille », confie-t-elle. Poe Peang, son père âgé de 62 ans, ne pourrait être plus fier de sa fille. « Je suis tellement heureux pour elle », applaudit le père. « Et c’est aussi une très bonne chose pour toute la famille. »
(Avec Ucanews, Siem Reap)